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Compagnon Maréchal-Ferrant du Devoir arborant sa canne et sa couleur, vers 1900

  L'esprit du Devoir : noblesse et fierté de l'homme de métier

Pierre Lacour vient au monde en 1854 à Gouts-Rossignols, sur la commune de Verteillac, en Dordogne, dans une famille de vignerons ruinée par le phylloxéra. On peut penser que c'est le père qui incite son fils à suivre la voie du compagnonnage. Pour les familles modestes, qui ont du mal à nourrir leurs enfants, placer un fils chez les compagnons est un grand soulagement et une véritable aubaine, car celui qui exerce un métier manuel occupe une place importante et reconnue dans la société de l'époque. Pierre est donc promis à un bel avenir, malgré la ruine de sa famille; il peut même espérer devenir un jour son propre maître. Il ne se plaint pas de son sort, et c'est d'un cœur léger qu'il quitte son village, vers 1870, pour voyager la France d' atelier en atelier et d'auberge en auberge.
Il se rend d'abord à Bordeaux, puis à Nantes, par le Limousin et la Vendée. Il rejoint ensuite Paris en passant par Tours, Orléans et Chartres. Puis, en descendant par la vallée du Rhône et de la Saône, il visite les villes du midi, Avignon, Marseille, Nimes, Montpellier et Béziers. À chaque étape de son périple, il est accueilli par le "rouleur", qui le loge chez "la mère", et lui trouve du travail dans la ville, où il reste en général une demi-année. La liberté de voyager, de quitter un maître, pour parfaire son apprentissage est très appréciée des Aspirants. Tous les ans au printemps et à l'automne, des groupes de jeunes hommes quittent ainsi une ville pour une autre, le sac au dos et la canne à la main, sur un Tour de France riche de promesses et d'espoir. On accompagne les partants jusqu'aux portes de la ville, au cours d'une cérémonie appelée "conduite". Ils parcourent trente à quarante kilomètres par jour, et le soir, ils trouvent à l'auberge le gîte et le couvert.
Le Compagnonnage est une voie de promotion professionnelle et sociale pour des dizaines de milliers de jeunes gens sans fortune, souvent issus du monde rural. Il leur offre la possibilité d'acquérir, sans bourse délier, une formation très prisée, notamment dans les secteurs du bâtiment et de l'artisanat, et de se démarquer ainsi de la masse des tâcherons et des prolétaires. À cette époque, le Compagnonnage est un mouvement puissant, une institution qui a les moyens de se faire respecter et d'imposer ses conditions aux patrons : il dispose souvent du monopole de l'embauche, et procure aide et assistance à ses membres. C'est la raison pour laquelle Pierre manifestera, sa vie durant, un grand attachement au mouvement compagnonnique, ainsi qu'une passion pour le métier qui le faisait vivre dans l'aisance et la dignité.
Le Tour de France transforme l'apprenti en Aspirant, et l'adolescent en jeune adulte. Pierre se construit progressivement en découvrant, au fur et à mesure de son long périple, de nouvelles manières de travailler, des techniques élaborées, des tours de main et des secrets de métier. Il acquiert ainsi tout un patrimoine culturel et spirituel. Il apprend peu à peu à maîtriser son art et à devenir un véritable homme de métier, un ouvrier d'élite, dont la dignité est garantie par les compétences.
Enfin, après sept ans d'itinérance et d'apprentissage, Pierre Lacour est reçu Compagnon maréchal-ferrant sous le nom de Périgord, Exemple de la Sagesse. Il rejoint ainsi une corporation qui compte, à l'époque, cent mille membres. Il s'installe à son compte à Nozay, un riche village de maraîchers, qui fournissait les halles de Paris, et où l'ouvrage ne manquait pas. Son savoir-faire le place bien vite au premier rang des notables de Nozay. Il est très apprécié, non seulement pour ses compétences techniques, mais aussi pour ses qualités morales de sérieux et de probité. Il mène une vie stable et ordonnée, ce qui lui permet d'ouvrir bientôt, avec sa jeune épouse Ernestine Julie Milet une épicerie-buvette à côté de son atelier. Ils peuvent ainsi subvenir aux besoins de leurs sept enfants. Ce commerce prospère toujours : c'est le Versailles, une brasserie réputée au cœur d'une agglomération en pleine expansion, du fait de la proximité de Paris.
Pierre Lacour meurt le 26 mai 1940, au moment même où s'effondre le "le monde d'hier", la vieille France, qu'il aimait tant. Sur cette photo prise vers la fin de sa vie, mon aïeul pose pour la postérité. Il est fier de son parcours et de sa réussite. Il revendique ostensiblement son appartenance à l'élite sociale, car le compagnonnage élève ses membres au rang de bourgeois fiers de leur savoir et de leur habileté professionnelle. Mon aïeul porte le gibus et la redingote pour se distinguer des miséreux, et pour montrer que le travail manuel anoblit et enrichit celui qui l'exerce. Surtout, il arbore sa canne et sa couleur, comme s'il voulait nous transmettre "le trésor caché de la tradition" : l'amour de la belle ouvrage et une éthique à toute épreuve.
   sources :                                                                                                                          La misère n'osera plus approcher de nous
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